WOMEN’S BOULDERING FESTIVAL 2022

La cinquième édition du Women’s Bouldering Festival s’est tenue du 2 au 5 septembre à Fontainebleau. Nous avons eu la chance d’être sollicités par Patagonia, le partenaire et soutien principal de l’événement, et d’y participer, en tant que média, mais aussi en tant que grimpeuse. Immergée dans cet événement, j’ai pu échanger, participer et saisir l’énergie et la motivation autour de ce festival, ainsi que les valeurs partagées. 

Crédits photos : Véronica Melkonian

Présentation du Women’s Bouldering Festival 

Naissance du festival 

C’est en plein cœur de la forêt de Fontainebleau (communément appelée « Bleau » parmi les grimpeur.se.s), entre le monde minéral des blocs de grès et celui plus vert des pins sylvestres, chênes et autres espèces végétales, que se sont retrouvées une centaine de grimpeuses du monde entier, principalement anglophones, partageant leurs journées entre sessions de blocs et conférences autour de l’escalade et l’environnement. 

C’est en 2018, que Zofia Reych, grimpeuse et anthropologue non-binaire originaire de Varsovie en Pologne, fonde la première édition du Women’s Bouldering Festival. Il y a quelques années, Zofia s’installe à Bleau et découvre ce site de bloc, connu historiquement et en plein de cœur de la nature. Cependant, avec son regard d’anthropologue et grâce à ses études sur la communauté de l’escalade, Zofia observe un manque d’inclusivité : 

« Quand j’ai déménagé à Bleau, j’ai remarqué que les gens sur les sites d’escalade n’étaient pas très divers… Ça m’a fait de la peine. Ce n’était pas une observation scientifique bien sûr, je n’ai pas fait d’étude statistique. Mais j’ai beaucoup étudié la communauté de l’escalade à l’université. Je savais que l’escalade en salle n’était pas trop diversifiée tant du point de vue de la théorie que de la pratique. Mais j’ai été choqué de le voir dans le meilleur et dans le plus ancien site de bloc au monde. » 

Ainsi, c’est avec le désir d’une nouvelle approche plus inclusive de l’escalade, qu’est née l’idée de ce festival. 

Que représente ce festival ? 

Constatant que l’escalade s’inscrit dans un système sociétal, le milieu de la grimpe se voit touché lui aussi par les vices de ce système, notamment Zofia relève « le sexisme, le racisme, la transphobie et le manque de conscience environnementale » – ce sujet est développé dans son livre intitulé Born to climb, publié en juin 2022. C’est en réponse à ce système qui ne favorise pas l’inclusion sociale que ce festival trouve son objectif : celui de « permettre aux femmes qui en ont besoin de trouver leur place et leur confiance. Créer un espace où les personnes qui ne se sentent généralement pas en sécurité ou bienvenues peuvent se sentir bien avec nous. » (Zofia Reych)

Mais également, impulser et défendre des valeurs humaines. En effet, lorsque je demande à Zofia, quelles sont les valeurs qu’iel souhaite mettre en avant et défendre, iel me répond naturellement : « Inclusivité, respect de l’autre, respect de la nature. Rien de spécial. Cela ne devrait-il pas être bizarre si quelqu’un ne soutient pas l’égalité et l’inclusivité ? Au lieu de cela, nous sommes toujours surpris quand quelqu’un les soutient activement. Agir pour eux devrait être la norme. »

Le succès de cet événement depuis cinq ans, révèle les besoins et la nécessité de plus d’intégration sociale, de solidarité, de soutien, d’ouverture d’esprit et de reconnexion à la nature. 

À travers ce rassemblement d’escalade de bloc rocheux, Zofia et son équipe souhaitent aussi participer à l’ouverture des consciences et à une réflexion portée sur la pérennité de l’escalade en pleine nature : « Il y a des questions d’intersectionnalité à considérer : des questions sur la race, la sexualité, le statut social et la situation économique, le handicap. Très important, des questions sur la durabilité de nos activités sportives pour l’environnement naturel. Avec le temps, nous voulons servir au mieux toutes ces causes. »

C’est un premier pas avec ce festival qui entend répondre à ces enjeux environnementaux :

« Pour l’association (le festival est organisé par l’Association Internationale des Bleausardes), donner l’opportunité aux gens de s’initier à l’escalade et à la découverte de la nature est un travail très important. » (Zofia Reych)

Le Women’s Bouldering Festival 

Escalade collective & inclusive 

Arrivée dès le matin au meeting point, je rencontre les « mentors » dont Electra qui m’accueillent au sein du festival. Electra m’explique plus en détails comment elle est devenue « mentor » du festival et son rôle :

« Durant ma jeunesse, j’ai passé beaucoup de mes étés dans la forêt de Fontainebleau pour faire du bloc avec des ami-e-s. Durant les premières années, lorsque je venais à Fontainebleau, j’avais souvent des gens autour de moi qui partageaient leurs expériences avec nous et j’ai beaucoup appris de leur part, non seulement en termes techniques, mais aussi en termes de passion et approche à l’escalade. Être « mentor » signifie pour moi partager mes expériences et aider les autres à développer cette passion. Plus particulièrement être « mentor » au Women’s Bouldering Festival donne l’opportunité unique de partager ses expériences avec d’autres femmes et personnes non-binaires, une opportunité que je n’avais pas beaucoup dans ma jeunesse quand l’escalade était un sport fortement masculin. »

Je m’immerge dans ce groupe qui rassemble et fédère les femmes et personnes non-binaires pratiquant l’escalade de tout niveau. Une volonté qu’exprime Zofia, de créer un espace pour toutes les femmes qui souhaitent se découvrir, se challenger, s’amuser, sans appréhensions et en toute liberté. Ce discours autour de ce besoin fait écho aux nombreux mouvements et revendications des droits et des libertés pour les femmes et les minorités de genre. De ce fait, cet événement répond à un état d’insatisfaction qui s’étend au-delà du sport, mais à l’échelle de la société.

Zofia m’explique le choix d’un rassemblement féminin : 

« Nous ne voulons pas non plus exclure les hommes en général des sites d’escalade, de la communauté. Les hommes sont formidables, les gens de tout genre peuvent être formidables. Mais pour le Festival, nous demandons aux hommes de laisser les autres faire leur événement. Pourquoi ? Pour découvrir les avantages qu’il peut offrir. Par exemple, se sentir libre dans son corps sans risquer que quelqu’un nous sexualise. Ou, prendre plus d’initiatives, être plus confiant parce qu’il n’y a pas d’homme sur qui compter.

Bien sûr, toutes les femmes n’ont pas besoin de ce genre d’aide. Certaines – beaucoup ! – sont incroyablement capables et n’en ont pas besoin. Heureusement, parmi elles, beaucoup veulent partager leur force et apporter leur soutien à ceux qui en ont besoin. C’est incroyable de voir comment une femme qui pense qu’elle ne peut pas faire quelque chose peut être inspirée en voyant une autre femme le faire. Et ne ressentir aucune concurrence mais le soutien est merveilleux. »

Les participantes viennent pour plusieurs motivations, mais le motif principal qui en ressort, c’est naturellement le désir de recevoir et de donner du soutien et cela vaut pour tous les sexes :

« Alors un événement comme le nôtre pour hommes, ou pour groupe mixte aurait aussi beaucoup de sens. Mais notre travail consiste à en organiser un pour les femmes et les personnes non-conformes au genre. Mais il y a par exemple un nouveau grand événement à Milly qui parle d’escalade durable et c’est pour tous. » (Zofia Reych)

L’une des participantes, Adèle, grimpeuse venue de Hollande pour participer au festival, m’explique ce qui l’a attiré dans ce festival et comment elle s’est sentie intégrée :

« L’aspect communautaire du festival, de toutes grimper ensemble et de partager des moments forts ensemble, mais aussi de rencontrer des grimpeuses de toute l’Europe. […] Je pense que ce serai difficile de pas se sentir intégré dans ce festival car à tous moments j’étais entourée par des personnes ouvertes d’esprit et qui m’acceptait tel que suis. Par exemple, nous avions eu le choix de faire du co-voiturage pour aider les personnes qui sont venues de loin, mais aussi limiter le nombre de voitures en circulation. J’avais la voiture de mes parents et j’ai pu accompagner trois filles des sites de bloc au camping tout au long du week-end. C’était le moment parfait pour faire des rencontres et de pouvoir discuter plus profondément. Vu que je suis venue au festival toute seule, j’ai vraiment apprécié ces moments. Vis à vis de l’escalade, c’était vraiment bien organisé car on nous a réparties dans des groupes en fonction de nôtre niveau (plus ou moins). On avait tous une guide et la notre était vraiment géniale, patiente et à l’écoute. Elle m’a mis en confiance dans les moments où j’avais peur, car oui grimper sur des rochers, c’est pas trop pareil que dans la salle ! »

Le pilier central, qui permet l’expression de ces valeurs et revendications, qui fédère cette pluralité, est l’escalade, à la fois sport et assumant des fonctions socioculturelles pour ses pratiquant.e.s.

En effet, pour la plupart des personnes présentes à l’événement, l’escalade est une activité qui représente « un très fort sentiment de communauté » comme le relève Electra, permettant de « rencontrer des gens » selon Manon, l’une des participantes, ou encore être un moyen d’expression : « C’est le moyen de m’exprimer, d’être moi-même » pour l’athlète ukrainienne Jenya Kazbekova.

En ce sens, Manon m’explique les valeurs, selon elle, qui résonnent autour de ce festival : « Le caractère inclusif, féministe et intersectionnel du festival est particulièrement important pour moi, ainsi que le soin porté à la protection de la nature et à organiser un festival éco-responsable. Le festival représente un outil d’empouvoirement des grimpeuses, un espace qui permet de rencontrer des femmes extraordinaires et de partager ses expériences. »

Il y a également la notion de bienveillance, d’altruisme et de la rencontre avec l’Autre qui en ressort, selon Jenya Kazbekova : « Je pense que les gens sont attirés par le soutien d’une communauté qui défend une bonne cause, tout en étant éducative et amusante. Rencontrer de nouvelles personnes partageant les mêmes idées et partager des expériences ensemble, être soi-même et sentir le soutien des autres. Avoir la possibilité de grimper avec d’autres sans être jugé. C’est un bel événement qui unit les gens de cette manière. » [Traduit de l’anglais]

Escalade & liberté

Les journées commencent par des sessions de yoga en début de matinée, puis se continuent par de l’escalade de bloc, en plein de cœur de la forêt de Fontainebleau, sur des secteurs variés. Après un échauffement convivial et collectif, nous allons par petits groupes gérés par les mentors vers les blocs et démarrons nos projets.

C’est dans une ambiance joyeuse, amicale, bienveillante et surtout pleine d’humour et de rires que les journées se déroulent durant tout l’événement. Le soir, c’est l’heure des conférences inspirantes sur des sujets autour de la grimpe et de l’écologie que chaque personne peut proposer. Il y a eu notamment des athlètes féminines, comme la grimpeuse londonienne Leanora Volpe, membre de l’équipe de para-escalade de Grande-Bretagne. Atteinte d’une maladie qui affecte son corps et notamment sa coordination et son équilibre, Leanora Volpe est venue partager son expérience :

« Cette année, j’ai donné un discours sur l’interdépendance dans l’escalade, en partageant comment mon expérience en tant que personne handicapée a façonné ma compréhension de la communauté des grimpeurs et comment nous interagissons et nous soutenons les uns les autres pour réussir dans ce sport. Mais en tant qu’athlète, j’étais ici pour faire du bloc en plein air pour la première fois de ma vie ! » [Traduit de l’anglais]

En plus de leurs expériences, les athlètes étaient aussi présentes pour partager un moment d’escalade sur les blocs de grès de la forêt de Fontainebleau. Nolwen Berthier, grimpeuse française de haut niveau, a aussi partagé son expérience personnelle. En effet, connaissant le site, c’est en tant que mentor qu’elle a contribué à la découverte des blocs, à la transmission des techniques de grimpe ou encore autour des bonnes pratiques en forêt, dont elle me raconte sa propre perception :

« J’en retiens l’idée de pouvoir créer des espaces de partages, qu’ils soient bienveillants, que ce soit autour d’une passion commune comme l’escalade ou de valeurs, et cela résonne. »

Regroupant des grimpeuses de tous les horizons, ce festival est aussi un lieu de transmission et d’échange d’une part, culturel, et d’autre part, d’expériences et de compétences autour de la pratique de l’escalade. Ainsi, toute cette atmosphère contribue à un espace de liberté et de sécurité pour toutes les participantes.

Ainsi, ce festival représente « la bienveillance, la communauté, la curiosité, l’épanouissement individuel et collectif », comme l’exprime Adèle. Elle ajoute également : « […] pouvoir s’encourager et s’entraider, c’est quelque chose d’assez rare dans les sports individuels. » 

Il y a la grimpe et le challenge, mais aussi, parfois, tout le monde est là juste pour bavarder et partager un bon moment.

Escalade & engagement

Ce festival est aussi l’occasion de mettre en place des actions communes pour la préservation de l’environnement et de promouvoir la notion d’engagement. Depuis 2019, Tiba Vroom, une grimpeuse professionnelle originaire des Pays-Bas, vient au festival et apporte sa contribution également. Elle partage ses valeurs fondamentales « à savoir l’égalité, la durabilité et la communauté » qui sont très similaires à celle que le festival met en avant et partage ses connaissances sur l’escalade et sur la forêt afin de permettre à plus de gens de découvrir cet endroit incroyable d’une manière simple et sympathique. De ce fait, elle m’explique une des actions qu’elle a mise en place depuis l’année dernière : 

« J’ai également contribué en organisant un nettoyage dans l’une des zones populaires le vendredi avant le festival. De cette façon, nous pouvons montrer aux gens quelles sont les bonnes pratiques dans la forêt et comment vous pouvez rendre quelque chose en laissant l’endroit plus propre et plus beau que vous l’avez trouvé. […] Le nettoyage a été organisé en coopération entre le festival, la Clean Climber Foundation, mon association Wildflower Climbing et l’ONF. Le vendredi avant le festival, nous nous sommes rassemblés sur le parking de la 95.2 et Clean Climber y a distribué des sacs poubelles, des gants et des pelles. La plupart des déchets se trouvaient sur le parking, c’est donc par là que nous avons commencé. Après cela, nous sommes allés dans la zone d’escalade pour faire principalement du brossage. C’est important car la craie qui reste sur les rochers n’est pas seulement moche, mais elle empêche aussi le rocher de sécher et peut même avoir un effet sur le rocher lui-même. Au total, nous avons nettoyé pendant environ deux heures avec une vingtaine de personnes. Je suis très reconnaissant à tous ceux qui ont participé et aidé, en passant leur temps à rendre quelque chose à la forêt. » [Traduit de l’anglais]

Ainsi, en partenariat, le Women’s Bouldering Festival et l’Office National des Forêt (ONF) se mobilisent et participent à des Clean up, c’est-à-dire, des moments organisés pour nettoyer les sites d’escalade de leurs déchets. Cette initiative s’inspire de la logique du Clean Climbing promut par Patagonia. Il s’agit d’une éthique de l’escalade mettant l’accent sur le respect de la nature, institué par Yvon Chouinard (patron de la marque américaine Patagonia), Tom Frost et Doug Robinson, il y a déjà une cinquantaine d’années. 

C’est également dans cette démarche qu’évolue et s’engage la grimpeuse française Nolwen Berthier :

« Pour moi, ma manière de l’interpréter, c’est se dire, comment en tant que grimpeuse, je peux avoir une approche responsable dans ma pratique de l’escalade ». 

Dans ce cadre, en partenariat avec l’ONF, il a été organisé un atelier sur l’érosion, au sein la forêt de Fontainebleau, auquel Nolwen Berthier a participé et m’explique : « L’idée était de créer des constructions qui allaient protéger les racines des arbres de l’érosion. En ralentissant la descente de sable, les racines resteront mieux protégées de l’érosion et seront moins exposées à des maladies. » 

La notion de nature est l’une des dimensions centrale du festival, selon Zofia Reych, « la nature est tout. Nous en faisons partie. Nous sommes aussi la nature. Prendre soin de l’environnement, c’est prendre soin de soi ! […] Pour l’association, donner l’opportunité aux gens de s’initier à l’escalade et à la découverte de la nature est un travail très important ». 

Mêlant altérité et nature, ce festival nous apprend à se défaire de ces choses qui ne comptent pas, pour se concentrer sur la qualité des relations et sur ce que l’on peut apporter en tant personne.

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