Daniel Woods, seul dans le désert pendant un mois pour faire Return of the Sleepwalker 9A – Interview

Je me suis dit : "Si tu veux être capable de t'adapter à ces mouvements et devenir assez fort pour faire ce truc, tu vas devoir en faire une obsession totale et l'essayer souvent."

Bobby Sorich

Le 30 mars, Daniel Woods a enchaîné Return of the Sleepwalker 9A dans le Nevada. C’était l’aboutissement d’un voyage de trois mois. Woods a surnommé ce nouveau bloc Return of the Sleepwalker et l’a côté 9A. C’est le premier 9A aux États-Unis, et seulement le deuxième au monde après le Burden of dreams de Nalle Hukkataival. D’autres grimpeurs ont revendiqué cette cotation, mais tous on été décotée par les grimpeurs suivants. Alors que Return of the Sleepwalker prolonge un 8C+ confirmé – The Sleepwalker original, d’abord enchaîné par Jimmy Webb, a connu pas moins de six ascensions supplémentaires sans décôte ! Rajoutant sept nouveaux mouvements en 8B à Sleepwalker, il semble prometteur que Return of the sleepwalker et la cotation de 9A restera, créant une nouvelle référence en matière de bloc de pointe.

Woods s’est consacré au projet et a façonné sa vie autour de celui-ci. Lorsqu’il a enchaîné Return of the Sleepwalker, Woods avait renoncé aux drogues, à l’alcool et à la caféine et avait passé un mois à camper et à grimper seul pour mener à bien son projet. L’expérience a été transformatrice. Woods est sorti du désert avec plus de concentration et d’énergie que jamais auparavant.

Il est passé directement de Return of the Sleepwalker à Megatron, un autre projet située dans le Colorado qui, selon Woods, pourrait être un autre 9A.

Interview de Daniel Woods

Quand as-tu commencé à essayer Return of the Sleepwalker ?
Daniel Woods :
Mon objectif de faire un départ assis dans Sleepwalker a commencé il y a deux ans. J’avais essayé Sleepwalker pendant 11 jours, et après avoir fait ça, j’ai vu qu’il pouvait y avoir un départ bas venant du bas et de la gauche. Ça ajoutait deux ou trois mouvements en 8A+. J’étais sur le point de le faire. Mon objectif cette année était de revenir et d’essayer de le faire.
J’ai commencé à essayer en janvier et… je ne sais pas. Je n’étais pas très inspiré par ça. Je ne pensais pas qu’il serait assez élevé. Mon but était d’essayer d’obtenir quelque chose qui soit au niveau supérieur.
En bas et à droite, il y avait un meilleur départ, plus évident. Ça ajouterait plus de mouvements et des mouvements plus durs, et ferait une ligne complète. J’ai commencé à être excité pour essayer ça et j’ai commencé mi-janvier.

Qu’est-ce que ça fait de se concentrer sur les mêmes mouvements, jour après jour, pendant des mois ?
Avant de me lancer, je me suis dit : « Si tu veux être capable de t’adapter à ces mouvements et devenir assez fort pour faire ce truc, tu vas devoir en faire une obsession totale et l’essayer souvent. »
L’ensemble du bloc est très respectueux de la peau. Vous n’avez pas vraiment à vous inquiéter de vous ouvrir les doigts ou quelque chose comme ça. Il reste à l’ombre toute la journée, ce qui permet d’obtenir de bonnes conditions. Vous avez donc le meilleur scénario possible pour développer vos forces afin de le faire.
Mon attitude était la suivante : Il faut y aller à fond tous les jours, s’entraîner sur les sections, perfectionner le mouvement, s’adapter à la ligne, puis essayer de voir jusqu’où on peut aller.

Quel a été ton processus ?
Au début, il s’agissait surtout de maitriser Sleepwalker. Le bloc est difficile parce que Sleepwalker est le crux de fin. Alors je me disais : « Il faut que tu maitrises Sleepwalker avant d’espérer commencer plus bas. » J’ai dû faire Sleepwalker 15 à 20 fois. Je l’ai fait quatre fois en une séance. Puis je me suis mis en tête : « OK, c’est ficelé maintenant. J’ai juste besoin de connecter le bas et ça devrait marcher. » Je pensais que ça pourrait aller assez vite parce que j’avais bien réglé Sleepwalker, mais je me suis vite rendu compte que ce n’était pas le cas.
Sleepwalker se transforme en un problème de bloc très différent après avoir ajouté un 8B, peu importe comment vous l’avez calé.

Photo de daniel woods dans return of the sleepwalker
©Bobby Sorich

Qu’est-ce qui t’as tant attiré dans ce bloc ?
Daniel Woods :
D’abord, la qualité de la roche est incroyable. Rien ne se casse jamais dessus. Ce sont que des mouvements à main ouverte sur des plats. C’est juste super solide.
La ligne elle-même m’a inspiré. Je m’approchais toujours d’elle et je me disais : « Wow, c’est une des plus belles lignes que j’ai jamais vues. » Le mouvement est fou. Les prises sont parfaites. » Honnêtement, c’est juste très amusant de grimper dessus. Les deux premiers mois, je m’éclatais dessus.
Vers la fin, l’escalade est devenue moins amusante et plus stressante, mais c’est tout à fait naturel quand on a cette excitation avant l’enchainement.

Tu as arrêté l’alcool, le cannabis, le tabac et la caféine pour ce bloc. As-tu remarqué une différence ?
Oui. Même maintenant, je suis complètement sobre. Quelque chose a fait tilt dans ma tête. Mon style de vie avant ça était plus de faire n’importe quoi. Je n’étais pas inspiré par quoi que ce soit d’autre. Ça marchait – j’étais encore capable d’envoyer des blocs durs – mais ce truc présentait quelque chose de différent. Je me disais :  » Je dois être dans la meilleure forme de ma vie, j’ai besoin d’une clarté totale dans ma tête. Je dois être concentré, obsédé et sentir la ligne, sans aucune autre substance pour distraire cette sensation. »
Ça a fait tilt dans ma tête un jour : Je dois arrêter de fumer, arrêter de boire tous les soirs. Je dois remplacer l’alcool par de l’eau. Je dois prendre des compléments alimentaires. Je dois bien manger. J’ai juste besoin de me transformer en une machine en ce moment.

As-tu atteint ce sentiment ? As-tu eu l’impression d’être dans la meilleure forme de ta vie, avec les idées claires ?
Totalement. C’était drôle … Le jour où j’ai enchaînné, j’ai essayé de boire une petite bouteille de Saki. Je me suis dit : « Et puis merde, faisons la fête un peu. » J’ai bu deux shots, et puis je n’ai pas pu la finir. J’ai senti que mon corps commençait à absorber l’alcool et à se crisper. J’étais bien plus accro à l’idée de me sentir bien, en bonne santé et au top. J’ai donc réalisé que je n’avais plus besoin de boire. Je ne suis pas opposé à l’alcool dans des situations sociales, mais cela a changé ma perspective. J’ai 31 ans maintenant. Je dois prendre soin de moi. Si je veux essayer ces autres projets difficiles, je dois être au top.


C’est génial. On dirait une évolution positive.
Je suis toujours clean comme l’enfer et je me sens bien. Je vais continuer.

Return of the Sleepwalker a été une quête un peu solitaire pour vous, peux-tu en parler ?
Au début, je logeais dans un Airbnb avec Sean Raboutou et Sean Bailey, et Jimmy était là. J’étais avec une équipe avec qui faire des sessions, et c’était génial. Puis au bout d’un moment, tout le monde voulait aller faire d’autres choses. Il n’y avait rien d’autre que je voulais faire, alors j’ai continué.
Pendant un bon mois, j’étais seul. J’allais là-haut et je faisais mes sessions seul. Je suis passé de l’hébergement dans un Airbnb au camping – je me suis isolé pour vraiment me mettre dans ma tête, et juste être loin de tout, être dans le désert, revoir les séquences, me préparer, et juste être brut avec ça. Pendant les 20 derniers jours, j’ai campé à 20 minutes de l’ascension et je suis passé en mode complètement fou.

Ça ressemble presque à une existence de moine : Vous êtes seul, vous vivez proprement et vous vous consacrez uniquement à une tâche. Était-ce difficile, ou as-tu apprécié l’expérience ?
Un peu des deux. J’ai aimé ce sentiment d’être seul. Avant cela, j’avais toujours des distractions autour de moi. Cette fois, j’ai vraiment pu me plonger et me concentrer.
En même temps, c’était aussi déprimant. Vous êtes juste assis là, vous vous parlez à vous-même parce qu’il n’y a personne d’autre à qui parler. Tu te mets vraiment dans la tête et tu te demandes :  » Est-ce que c’est sain en ce moment ? Est-ce que je devrais être ici ? Sans interaction sociale, est-ce que je vais trop me prendre la tête et ne plus être capable de le faire ? ».
Lorsque des pensées folles surgissaient, je me disais :  » Écoute, tu es juste là pour grimper cette ligne, et quoi qu’il arrive, au moins tu dessaouis. Tu deviens sain. Tu comprends ce qu’il faut pour grimper dur. Tu as enfin trouvé quelque chose qui t’inspire. Si tu n’envoies pas, au moins il y a eu un peu de positivité qui en est sortie. »

Y a-t-il eu des moments où vous avez douté de vous et envisagé de passer à autre chose ?
Daniel Woods : Une semaine et demie avant l’enchaînement, j’avais passé beaucoup de temps et je n’avais pas réussi le mouvement vers le plat, qui est le mouvement crux du départ. J’avais essayé pendant sept jours de faire cette liaison. Je me suis dit : « Si je continue et que je ne fais pas ce mouvement, je devrais peut-être passer à autre chose parce que j’ai encore des mouvements difficiles à faire. »
Le jour suivant, j’ai finalement réussi le plat. Je l’ai fait deux fois dans la session. Ça m’a remis les idées en place. Je me suis dit : « OK, j’ai fait des progrès. » Après ça, je disais : « Avance d’un coup, bloque le coup suivant. Si tu tombes au prochain coup, peu importe. Tu as fait un pas de plus. » Je suis passé de pas très régulier à super régulier après ça, j’arrivais au plat quatre fois par jour, et j’arrivais au dernier mouvement plusieurs fois par jour. Ça m’a permis de continuer.

Daniels Woods dans return of the sleepwalker

Tu peux nous parler du matin avant l’enchainement ?
Le canyon était vide. J’étais le seul à y être allé. Je savais que les conditions étaient bonnes ce jour-là. Tout semblait super collant. Il ne faisait pas trop froid, mais pas trop chaud non plus. Quand j’ai tâté les prises avant l’échauffement, je me suis dit : « Mec, c’est génial maintenant. Si tu peux juste garder la tête froide, tu peux le faire aujourd’hui. » Mais je me sentais beaucoup plus anxieux que confiant. Ma tête était dans un espace bizarre. Je m’en fichais, mais je m’en souciais en même temps. Je me sentais vraiment neutre. Je me suis dit : « Essaie juste à 100%. » C’est tout ce que je pouvais faire. J’ai passé 30 minutes à m’échauffer sur les sections, je me suis reposé pendant 20 minutes, puis j’ai fait le premier essai.

Comment tu t’es senti dans ta grimpes ?
Je suis entré dans un état de concentration pure. Ma respiration était parfaite. Mon corps n’avait pas mal. Rien n’était dur. Tout allait bien.
Quand je suis arrivé au dernier mouvement, c’est là que j’ai commencé à me sentir vraiment nerveux. C’était la première fois que j’arrivais frais et dispos au dernier mouvement. Le mouvement est un jeté en aveugle sur une prise. Si tu frappes bien cette prise, c’est bon. Mais c’est vraiment facile à rater. C’est un mouvement sur lequel il est difficile d’avoir confiance. Je me suis dit, « sois juste précis ». Je l’ai eu, je me suis dit : « OK, tu l’as fait. »
La dernière partie n’est pas facile. Au début, je me sentais bien, mais la fin était vraiment un combat.

Qu’est-ce qui vous est passé par la tête après avoir atteint le sommet ?
Je pense que j’étais soulagé. C’était plus, « Wow, j’en ai fini avec ça. Je n’ai plus besoin de revenir ici. » Tout ce stress mental s’est envolé. Je me sentais excitée, mais plus fatiguée. Je crois que le lendemain soir, je me suis dit : « Ouah, tu viens de le faire. » Genre, excité. Mais c’est un truc bizarre. J’étais excité pour la journée – je suis toujours excité – mais je suis prêt maintenant à passé a autre chose. C’était dur, mais il y a toujours d’autres projets à faire.

Est-ce que cette concentration sur un seul objectif vous manque ?
Je ne dirais pas que ça me manque parce que j’ai l’impression de l’avoir toujours. Je pense que c’est ce qui était puissant dans cette expérience. Cette concentration mentale est ancrée en moi maintenant. Je vais essayer de faire Megatron demain, et maintenant je sais ce qu’il faut faire pour faire quelque chose de vraiment difficile et comment le faire.
En utilisant le processus que je viens de traverser, je peux transférer cela et dire : « Tu es déjà venu ici, tu sais comment projeter quelque chose de difficile et tu connais le type de concentration nécessaire ». Je pourrai appliquer cela à tous les projets que je ferai.

Interview et source : Climbing.com

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